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Je ne lisais plus.
Ou plutôt, j'avais perdu le plaisir calme et furieux d'une lecture attentive jusqu'à ce soir.
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Car j'avais bien sûr lu les répugnantes saynètes d'un monde bouffon en répétition générale avant la tombée du rideau.
On sent l'accessoiriste bien en peine de renouveler son fond de tiroir.Là un costume colon, ici les bijoux du tsar, au dernier coup de bâton apparait la troupe des gérontes en chevauchée fantastique contre l'école des femmes.
Les larmes de colère contenu du public brillant comme d'innombrables masques de fer.
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Alors, le figurant une fois sorti recherche une lecture plus apaisée. Il entre alors dans le spectacle d'automate, bien que la mélodie qui l'accompagne soit belle.
Comme les machines de Vaucanson, l'on s'attache à tout avaler ; notes, fiches, manuels et conférences à condition de rendre cette nourriture dans la dernière cadence.
Qu'elle arrive vite, la froideur du petit soldat ! Est-ce ce meurtre de la poésie qui a fini de l'achever lui ; la belle ballerine de la boite à musique, le singe aux cymbales et toutes les figurines du magasin qu'il aimait tant ?
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Je constate avoir toujours gardé le goût de la métaphore mécanique qui m'était si cher ici.
Car dans une même errance, je n'écrivais plus.
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Du scribouillage, de la note d'intention dans des moments volés peut-être. Mais la recherche du vers, de l'épique ou du récit mondain n'avait plus les fonds nécessaires, il faudrait s'en plaindre aux ministères du Temps ou de la Fatigue.
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Les mythes sémitiques que j'étudie maladroitement nous apprennent que l'homme est une poupée de boue vouée au travail, avant qu'elle ne soit animée d'un souffle.
J'ai cherché ce soir ce vent de liberté sous une lune de papier.
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Alors j'ai lu.
Balzac, Plath, Adnan, Rilke, Deleuze, Shikibu, Jodorowsky, Triolet, Arasse, Vergès, Xénophon et Rabemananjara.
Puis j'achevais par les Psaumes, la Révolution Communaliste, et tes lettres qui se contredisent toutes dans un mignon effroi.
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La violence de ce festin spirituel agit comme une perte d'innocence. J'ai eu le ressouvenir d'un espace où, loin des injonctions algorithmiques et médicales, j'éprouvais une liberté artistique totale.
Le bizarre, le caprice, le sublime comme lignes éditoriales.
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Mon écriture adolescente, es-tu lac du Tendre ou Monts de Kong ? Un cheminement paisible loin du sérieux, ou l'expression sur papier d'un malaise que je ne comprends plus ?
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Les promesses sont des épées de cirques. Rapides à dégainer, elles viennent vous frapper d'un son caoutchouteux plus douloureux qu'une vraie lame à force de les tordre.
Je ne me prêterai donc pas comme dans mes cours de langues anciennes à de grands serment promissoires.
Seulement, j'aimerai retrouver cette curiosité honnête envers la création, au risque de la perdre à jamais.
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Laissera-t-on la mauvaise lueur de la Terre faire de nous des rois borgnes ?
Je veux devenir voyant sans chuter ni subir la foudre comme les personnages de mon tarot.
Et comme le hiéroglyphe de Horus, porter un même œil sur mes difficultés pharaoniques et la protection du surnaturel.
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Que de cette bouteille à la mer, puisse sortir un jour l'encre et l'arsenal d'un nouveau bateau ivre !
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Frères au Détroit
D’après « Deux guerriers grecs dansant » d’Eugène Delacroix
Dès l’aube sereine aux abords du BosphoreLe cliquetis des yatagans frémit dans l’air
Car sans partages klephtes et janissaires
En même lieux que d’antiques doryphores
Pour prendre une liberté sacrée s’escriment,
Poudres et fers peinent à masquer le son d’un duel
De mots tranchants mêlant l’estoc et l’homélie
Par deux Grecs en dialectes de Roumélie
L’un : « C’en est fait de de tes troupes, cruel,
Céans la Sublime Porte paye ses crimes
Dont le premier est d’avoir ravi l’engeance
De ma famille du seul fait de leur millet
Pour mon frère arraché à son sein et son lait
J’obtiendrai sur toi mon désir de vengeance ! »
L’autre l’empoigne d’une main martyriale
Pleurant d’un souffle court : « J’ai parcouru les eaux
De l’Abyssinie en Raguse baroque
Ni soleil de Chaldée, ni neige du Maroc
N’ont effacé en moi la douceur du berceau
Verserons-nous un sang de chair familiale ?
Tu es tueur de Turcs et moi briseur de Christ
J’aime par-delà ma vie la maison d’Osman
Bien que des souvenirs de mon enlèvement
Aient troublés ma foi et rendu mon cœur triste,
Bientôt les bachibouzouks puis les spahis
D’autres mamelouks aux armures de couleurs
Rappelés depuis la pléthore de provinces
Débarqueront avec ordre qu’on évince
Vos chants de victoire dans des cris de douleur,
Frappe donc ce frère que le destin trahit ! »
D’un bond l’arme tombe d’un corps extatique
Au buste tournoyant sur la cadence
D’un bal fou : « -Te souviens-tu de cette dance
Que Père tenait de ces derviches mystiques
Peuplant la Galilée et encore au-delà ? »
« -Qu’il nous mimait sitôt le coucher des astres ! »
« -Plus rien n’a d’importance nous deux réunis
Je veux bien que l’on me batte ou m’excommunie
Si deux âmes peuvent survivre au désastre… »
D’une voix commune : « -Nous serons ces deux-là ! »
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Passage en coup de vent pour prévenir qu'il n'y aura aucune activité sur le blog durant l'été. S'il a été fermé ces dernières semaines, ce que je voulais y faire quelques travaux, mais j'ai manqué de temps et d'envie. Il est d'ailleurs possible que des articles ou des textes aient disparus. (désolé, mais ils ne me convenaient plus)
J'espère pouvoir mieux me consacrer à mon bric-à-brac l'an prochain, et surtout réécrire beaucoup (sinon tous) les textes déjà présents. J'ai d'autre articles qui attendent dans mes tiroirs, mais qui ne pointeront pas le bout de leurs nez avant Septembre.
En vous souhaitant une bonne continuation (et de belles vacances d'été).
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