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Par Le Borgne le 27 Octobre 2018 à 12:39
Titre : L'Enfant et le Maudit
Auteur : Nagabe
Année de parution : 2017
Édition : Komikku
Nombre de volumes : Cinq volumes parus, série en cours
ISBN : 978-2-372-87197-6
Quatrième de couverture : Il y a très longtemps, dans une contrée lointaine, existaient deux pays...
"L'intérieur" où vivaient les humains, et "l'extérieur", où habitaient des créatures monstrueuses qu'il ne fallait surtout pas toucher, sous peine de subir la malédiction. Cette histoire commence le jour où se sont rencontrés deux êtres qui n'auraient jamais dû se croiser...
Ils sont aussi différent que le jour et la nuit... Et malgré tout ce qui les sépare, malgré les ténèbres qui les entourent, ils vont écrire petit à petit une fable tous les deux...
Dans un monde divisé entre deux pôles ne devant jamais se rencontrer du fait d'une malédiction, la petite Sheeva est recueillie par un mystérieux être de l'extérieur, qu'elle nomme Professeur, en attendant que sa tante la ramène auprès des humains. Mais la réalité est plus sombre et complexe qu'il n'y parait.
Ce qui frappe en premier lieu avec l'Enfant et le Maudit est son identité visuelle unique. Tout en conservant les codes et les techniques propres au manga, l'œuvre exprime clairement une volonté de s'en détacher et de se construire une style propre, éloigné des canons du genre. Les designs ingénus des êtres de l'extérieur, les clairs-obscurs d'une maîtrise absolu et la dualité constante qu'appuie le dessin entre Sheeva et le Professeur sont autant de signes de ce ton remarquable. Fait notable, les onomatopées sont presques inexistantes et de nombreuses pages sont vides de tout dialogue.
Cela peut s'expliquer par le fait que l'auteur soit premièrement issu du milieu de l'illustration, et non du manga. Nagabe reconnait comme inspirations générales le style art nouveau d'inspiration slave d'Alphonse Mucha, les célèbres Moumines de Tove Jansson, ainsi que les illustrations macabres d'Edward Gorey (également un modèle majeur pour Tim Burton) dont l'opposition entre la lumière et les ténèbres n'est pas sans rappeler celle du manga.
L'ambiance du manga évolue drastiquement au fur et à mesure des tomes. Les débuts sont très contemplatifs, parfois même ennuyeux à certains égards, mais l'intrigue va d'un nouvel élan à partir du quatrième volume sans pour autant prendre le lecteur à l'envers. En effet, l'auteur a pris le soin de disséminer des indices tout au long du récit, sur la relation entre les mondes ou la nature de la malédiction, mais tout en gardant une part de mystère qui annonce quelque chose de plus grand. L'évolution de la relation entre Sheeva et le Professeur est un indicateur de la progression de l'histoire, les deux protagonistes découvrant leur affection mutuelle et les secrets de leurs mondes respectifs.
En bref, l'Enfant et le Maudit est une pépite de créativité et de talent, un manga de fantasy à l'esprit de contes de fées et au design unique en son genre ; mais dont la lenteur relative des trois premiers tomes risque de rebuter plus d'un. Le sous-titre, Siúil a Rún est une chanson traditionnelle irlandaise que l'on pourrait traduire par "Va, mon amour" et qui traduit le caractère mélancolique et fabuleux du manga.
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Par Le Borgne le 18 Juin 2018 à 18:50
Titre : Gagner la guerre
Auteur : Frédéric Genêt d’après Jean-Philippe Jaworski
Année de parution : 2018
Edition : Le Lombard
Nombre de volumes : Premier volume « Ciudalia » paru, deuxième volume « Le royaume de Ressine » à paraître
ISBN : 59349
Quatrième de couverture : « Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand il s’agit de nobles pourris d’orgueil et d’ambition, on en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire.
Pour rafler la mise, c’est désormais au sein de la famille qu’on sort les couteaux.
Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon... »
À Ciudalia, capitale du Vieux Royaume, le spadassin à gages Benvenuto Gesufal est chargé par la guilde des chuchoteurs d’occire un noble à la sortie du bordel de la via degli ducati, mais maldonne oblige, les choses prennent une tournure des plus désagréables. Embarqué malgré lui dans un imbroglio qui le dépasse, Benvenuto devra en dénouer les fils et faire face aux démons du passé…Adapté du roman de fantasy à succès de Jean-Philippe Jaworski, ainsi que de sa nouvelle Mauvaise donne du recueil Janua Vera, Gagner la guerre permet une intrusion pertinente dans le monde du Vieux Royaume et peut-être plus accessible au grand public que le jeu de rôle ou la lecture de toutes les œuvres du cycle. Le brio de Frédéric Genêt consiste à harmoniser un récit complètement subjectif, et se déroulant sur deux trames à la temporalité différente, tout en y ajoutant un rythme presque cinématographique. Graphiquement, l’album n’a rien à envier aux meilleurs tomes de Médicis car un très grand soin est apporté aux vêtements, armes et constructions architecturales des habitants de Ciudalia.
Gagner la guerre s’inscrit dans un genre de fantasy bien particulier, qui a connu une immense popularité ces dernières années du fait de la saga du Trône de Fer et de son adaptation télévisuelle Game of Thrones, le médiéval-fantastique. Cette division de la fantasy se caractérise par une solide base historique ainsi qu’une dimension politique souvent absente des canons habituels de la littérature merveilleuse. Sur cet univers semi-réaliste vient alors se greffer des éléments propres à la fantasy, se traduisant dans le cas du Vieux Royaume par un fort ésotérisme et l’existence de races non-humaines intelligentes. Si par souci de concision, le premier volume de la série n’a pas pu exploiter pleinement la richesse de la matière imaginaire qu’elle délivre, les prochains tomes sauront à n’en point douter dresser un portrait complet et vibrant du monde de Jaworski.
Le personnage de Benvenuto Gesufal, dont la cruauté n’a rien à envier au personnage décrit dans Le Jour des Rois d’Hugo auquel il emprunte son nom, se montre aussi détestable qu’attachant au fur et à mesure du récit. Si il est impossible de rendre parfaitement compte de la gouaille et de la subjectivité dont le protagoniste pouvait faire preuve dans le roman, le dessin permet à l’assassin une expressivité qui traduit le caractère ambigu du personnage. Aux antipodes d’un Elric ou d’un Thomas Covenant, Benvenuto est sans nul doute une excellente figure de antihéros car ses multiples défauts et son inimitable cynisme en font un personnage très humain. On ne l’appelle pas le bienvenu pour rien.
En outre, on appréciera le soin apporté à la carte du Vieux Royaume, grande absente des livres papiers. La note de Jean-Philippe Jaworski expliquant la genèse du personnage de Benvenuto permet une plus large compréhension de l’œuvre de l’auteur, et non moins intéressant est le cahier graphique de Genêt présent en fin d’album. On recommandera aux lecteurs les plus curieux d’enrichir leur expérience relative au Vieux Royaume par la lecture des recueils Janua Vera, Le sentiment de fer ou encore Comment Blandin fut perdu. Et si ces lectures ne suffisent pas à étancher cette soif d’aventure, on conseillera également une partie de jeu de rôle papier ou en ligne aux bibliophiles désireux d’apporter leur pierre à l’édifice de Jaworski.
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Par Le Borgne le 20 Avril 2018 à 11:05
Titre : Descender
Auteurs : Jeff Lemire (Scénario) / Dustin Nguyen (Dessin)
Année de parution : 2016
Edition : Urban Comics
Nombre de volumes : Quatre, cinquième volume à paraitre.
Quatrième de couverture : La Galaxie se remet péniblement du traumatisme causé par l'apparition, il y a dix ans, des Moissonneurs, des robots de la taille d'une planète qui préfigurent la révolte des machines contre les Hommes.
C'est dans cet univers en pleine reconstruction, qui a depuis appris à haïr le genre mécanique, que s'éveille Tim-21. Sans le savoir, le petit droïde cache dans ses circuits imprimés l'héritage et les véritables intentions des Moissonneurs. Un secret dont tous les gouvernements de la galaxie rêveraient de s'emparer.
Le robot domestique Tim-21 se ranime après dix ans de mise en veille sur la colonie minière de Dirishu, sans savoir que son codex machine est convoité par le Conglomérat Galactique Unifiée d'une part et des mercenaires Liquidateurs de l'autre.
D'un point de vue graphique, la série Descender est irréprochable. C'est avec une grande maitrise de l'aquarelle que Dustin Nguyen dépeint des paysages alternant entre des symposium technologiques et des paysages de planètes sauvages. La richesse des designs des différentes races du Mégacosme ainsi que les environnements dans lesquels ces dernières évoluent aident à l'introduction du lecteur dans ce monde complexe et tentaculaire. On appréciera aussi le soin apporté aux onomatopées et aux phylactères, stylisés lorsqu'une voix mécanique ou télépathique est utilisée.
Toutefois, la trame générale du récit n'est pas en reste. On peut citer sans crainte parmi les différentes inspirations de Descender les principaux piliers de la science-fiction moderne : Le Cycle des Robots d'Isaac Asimov, les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, Dune de Frank Herbert, la saga Star Wars et le jeu vidéo Mass Effect. Le premier tour de force du comics est d'arriver à faire cohabiter de manière cohérente les différents genres de la SF (space opera, planet fantasy, dystopie et cyberpunk) tout en y apportant une part conséquente de développement et de critiques.
Ainsi, si les habitants de la planète Silenos communique par télépathie, cela ne résulte pas simplement d'une volonté des auteurs d'utiliser cet archétype de la littérature de science-fiction, mais est appuyé par une explication cohérente et originale du concept, la planète Silenos ne pouvant retenir aucun son dans son atmosphère. Une très grande minutie est apportée à tous les éléments relatifs à la géographie ou le fonctionnement des différentes technologies, permettant une meilleure compréhension et immersion. De plus, une critique discrète semble adressée aux pères fondateurs du genre, l'inventeur de la robotique du Mégacosme tenant plus de l'escroc opportuniste que de l'inventeur de génie.
Si l'univers de Descender est d'une richesse graphique et imaginative indéniable, toujours est-il que l'œuvre reste destinée à un public averti et que souvent le mal l'emporte sur le bien. Les différents protagonistes évoluent dans une galaxie encore instable, à peine rétablie du traumatisme des Moissonneurs, un climat de peur et d'incompréhension s'est formé entre "humes" et robots créant ainsi la formation des Liquidateurs dans un camp et de la résistance robotique dans celui adverse. Par le biais des robots, Descender aborde de manière plus globale le thème du respect de la vie, il n'est donc pas étonnant d'y voir des allusions directes aux mauvais traitement, à l'esclavage, aux crimes raciaux (les "botgroms") et au génocide.
De nombreuses interrogations sont alors posées, l'homme a t'il asservi la machine? Où vont les robots une fois liquidés? Peuvent-ils ressentir de la joie, de la haine, de l'ambition ou de la peur? Et qu'en est-il du transhumains? Autant de questions auxquelles seul l'effort combiné des formes de vies carbones et artificielles saura apporter une réponse convaincante et définitive.
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